À l’occasion de la Semaine de la QVT, Impact Prévention se penche sur le rôle crucial que cette démarche est appelée à jouer pour réussir la reprise du travail à l’issue de la crise sanitaire. Le quatrième volet de cette série souligne la nécessité de mieux prendre en compte les savoirs et propositions issus de l’expérience terrain.
“Pendant la crise sanitaire, dans beaucoup d’entreprises, de nouvelles pratiques, de nouvelles modalités d’organisation se sont mises en place, par la force des choses. Il est important de faire un bilan de cette période, de ne pas repartir comme s’il ne s’était rien passé. Après un premier temps de retour sur la façon dont la période a été vécue par chacun, il s’agira de tirer les enseignements de la façon dont l’entreprise et les collectifs de travail ont fonctionné, de valoriser et conserver ce qui a été vertueux et de pointer les difficultés éprouvées par les salariés”, écrivent les experts de l’INRS.
Prolonger un moment de créativité
De fait, la crise, ses contraintes inattendues, ses défis inédits ont aussi été, pour de nombreux travailleurs, un moment exceptionnel de créativité professionnelle. En effet, en rendant inopérant le fonctionnement habituel de l’organisation, la crise a permis, et même exigé, de l’agilité et de l’inventivité pour assurer la poursuite de l’activité. Une foule de tâches ont soudain été libérées des normes, règles et process qui les ankylosaient auparavant.
Au cœur de la crise, David Autissier, professeur à l’Essec, notait sur LCI : “Aujourd’hui, nous devons produire différemment, dans des circonstances inconnues. Et il faut trouver des solutions différemment. Une certaine capacité de bricolage devient essentielle. Il faut aller vite, agir vite. Cela bouscule les habitudes et les systèmes de gouvernance.”
L’esprit d’initiative, vecteur de bonheur au travail
Gageons que les salariés ayant ainsi eu la possibilité de laisser libre cours à leur esprit d’initiative auront le plus grand mal à renoncer à ces nouvelles marges de manœuvre ! En effet, de nombreuses études ont mis en évidence que le bonheur au travail ne résultait pas tant du confort et de la routine que de la possibilité, pour les individus, de montrer ce dont ils sont capables.
“Le bonheur ce n’est pas de rester assis à regarder le mur. Cela, c’est ce que les gens font quand ils s’ennuient. Or les gens détestent s’ennuyer. Les êtres humains sont plus heureux quand ils sont challengés avec intelligence, quand ils poursuivent des objectifs difficiles mais pas impossibles à atteindre”, souligne Daniel Gilbert, professeur de psychologie, dans les colonnes de la Harvard Business Review.
Les vrais ressorts de la QVT
Cette conception du bonheur au travail est également celle qui donne tout son sens à la démarche de Qualité de vie au travail (QVT). En effet, contrairement à une idée reçue, celle-ci ne consiste pas à materner les salariés mais à leur permettre de se réaliser dans leur travail, en y engageant non seulement leur énergie mais leur intelligence.
Pour le dire d’une formule : au travail, le bonheur au travail doit provenir du travail ! Un salarié heureux est un salarié qui, grâce aux marges d’autonomie dont il dispose, est en mesure de faire du bon travail. La prévention des risques psychosociaux (RPS) fait écho à cette réalité : on sait en effet que ces risques explosent lorsque le travail est empêché, notamment par un carcan de règles rigides ou absurdes qui brident l’ingéniosité naturelle des travailleurs et leur volonté de bien faire.
Fronde contre les bullshits jobs
Les salariés les plus malheureux ne sont donc pas ceux qui effectuent des tâches ardues mais des tâches inutiles ou dépourvues de sens. Ce sont ceux qui, selon la terminologie forgée par David Graeber, occupent des “bullshit jobs”. Selon cet anthropologue américain, un “job à la con” se reconnaît au fait qu’il est “ressenti comme tel par celui qui l’occupe”. Cette définition amusante révèle cependant la souffrance éprouvée par les travailleurs dans des organisations où “l’efficacité en est venue à se traduire par un transfert de pouvoir aux superviseurs et autres prétendus experts de la rationalisation”.
Cette mise en cause de l’expertise au nom de l’expérience terrain est l’un des enseignements les plus saillants de la crise du Covid. La popularité dont jouit aujourd’hui le professeur Didier Raoult illustre avec éclat ce phénomène. Comme le souligne Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, le médecin marseillais “a rejoué la bataille du terrain contre l’establishment, contre les sachants”, si bien que “beaucoup de gens le défendent au nom du bon sens, du pragmatisme, au nom de ‘ceux qui font’, parce qu’il a les mains dans le cambouis face à des élites qui seraient déconnectées”.
Accueillir un légitime désir de participer
Certains voient dans cet engouement une manifestation déplorable de populisme. On peut tout aussi bien y voir l’expression d’un légitime désir de faire, participer et d’être reconnu dans son travail. Tel devrait être, en tout cas, le pari des entreprises. Elles ont en effet tout à gagner en accueillant et en canalisant cette énergie trop souvent inexploitée.
“S’il est un enseignement que nous pouvons retirer de la crise, c’est la formidable ressource des initiatives individuelles, de la responsabilité individuelle, l’efficacité des décisions prises au plus près du terrain, les vertus de l’innovation libérée une fois que l’on a débranché les processus administratifs habituels et brisé les silos”, écrit Olivier Babeau, professeur en sciences de gestion à l’université de Bordeaux, dans une contribution au Figaro. Son observation concernait directement le management mais elle pourrait tout aussi bien relever de la QVT. Rien que de très normal car, au fond, la prévention des RPS et la promotion de la QVT sont intrinsèquement des sujets managériaux.