Covid-19 : agir en entreprise contre “la troisième vague psychiatrique”

“La troisième vague psychiatrique est là.” C’est le cri d’alarme lancé, au début du mois, par les psychiatres Rachel Bocher, Serge Hefez, Marion Leboyer et Marie-Rose Moro, conjointement avec la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. Bien qu’adressé prioritairement aux pouvoirs publics, cet appel doit être également entendus par les entreprises qui se trouvent en première ligne face à l’aggravation des risques psycho-sociaux (RPS) dopés par la crise sanitaire.

Chacun peut le constater, voire le ressentir : près d’un an après le déclenchement de l’épidémie de Covid-19, les ressources psychiques des Français commencent à s’amenuiser. Alors que la plupart de nos compatriotes avaient plutôt bien encaissé le choc du premier confinement, l’annonce du second leur a porté un très sévère coup au moral.

21 % de la population en état dépressif

Ainsi, à la mi-novembre, la dépression touchait presque 21 % de la population, deux fois plus que fin septembre selon l’enquête nationale CoviPrev qui suit l’évolution de l’état psychologique de la population à partir d’un échantillon de 2.000 personnes de plus de 18 ans.
Bien sûr, cette dégradation frappe plus particulièrement les populations les plus fragilisées par la crise sanitaire, à cause d’une situation financière difficile (35 %), de la promiscuité (26 %), de l’inactivité (25 %) ou d’antécédents de troubles psychologiques (30 %). Mais, comme le souligne Serge Hefez, psychiatre à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, le mal-être est général. “Nous voyons l’émergence de symptômes : fatigue, sidération psychique, de la peur, de l’anxiété, des angoisses, de l’insomnie, de la colère aussi”, explique-t-il avant d’enfoncer le clou : “Tout le monde peut basculer”

Le monde du travail sous tension

Face à une telle lame de fond, le monde du travail n’est bien sûr pas épargné. Dans l’entreprise aussi, l’effet du second confinement se révèle plus violent que celui du premier. En mars, les craintes des salariés étaient proches de celles de l’ensemble de la population : elles se focalisaient sur les questions de santé et sur la peur de la maladie mais chacun estimait peu ou prou qu’il ne s’agissait que d’affronter une tempête passagère qui prendrait fin avec le retour de l’été.

Désormais, c’est différent : on comprend que la crise va durer, que les conditions de travail seront durablement dégradées et qu’il va falloir faire preuve d’endurance. L’anxiété créée par cette situation est aussi plus profonde et multifactorielle car aux désagréments de la crise sanitaire proprement dite s’ajoute en effet la crainte d’une crise économique majeure et la lassitude face à un report sans fin du retour à la normal tant espéré. Pour Marion Leboyer, professeur à l’université Paris Est-Créteil, il ne faut donc pas se leurrer : “Les conséquences psychiatriques de la Covid s’inscrivent dans le temps long”.

La lutte contre les RPS, facteur de résilience

Dans un tel contexte, la nécessité de veiller à la bonne santé mentale des salariés prend un relief tout particulier. En effet, comme l’a montré une enquête réalisée par Malakoff Humanis, l’exposition des salariés aux risques psychosociaux s’est considérablement aggravée lors de la crise sanitaire. Ainsi, “33 % des salariés estiment que leur travail est plus intense depuis la crise (vs 12 % qui estiment qu’il l’est moins qu’avant la crise). 23 % pensent qu’il empiète davantage sur leur vie personnelle (vs 13 %), et 14 % qu’ils subissent plus de tensions au travail (vs 3 %)”. Enfin, facteur supplémentaire d’anxiété, 20 % des salariés disent “avoir plus peur de perdre leur emploi depuis la crise” (vs 3 %).

Pour éviter d’être frappées de plein fouet la “troisième vague psychiatrique annoncée par les professionnels de la santé mentale, les entreprises doivent prêter une attention redoublée aux risques psychosociaux. Et bien sûr, il ne s’agit pas seulement de prêter assistance à tel ou tel salarié fragilisé en lui proposant un soutien psychologique. Bien qu’indispensable, cette réponse individuelle ne suffit pas. Les effets psychologiques induits pas la crise étant collectifs, ils appellent une politique de prévention de plus grande ampleur visant à trouver de nouveaux équilibres professionnels dans un monde du travail durablement affecté. Certains dirigeants y verront peut-être une nouvelle contrainte. Mais les plus avisés comprennent déjà que cet investissement est un facteur de résilience ainsi qu’un moyen de faire la différence avec la concurrence.