Les dirigeants de PME particulièrement exposés aux RPS

“Malgré plus de 20 millions d’entreprises en Europe, il y a plus de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur celle des entrepreneurs”, déplore Olivier Torrès, professeur à l’Université Montpellier 1 et auteur du premier ouvrage consacré à la santé des dirigeants de PME et TPE, récemment réédité par les éditions De Boeck. Une belle occasion de rappeler que les risques psychosociaux ne frappent pas que les salariés, loin de là !

La santé des dirigeants d’entreprise est, aujourd’hui encore, une sorte d’angle mort de la santé au travail. Autant les risques qui pèsent sur la santé des salariés suscitent une attention soutenue, autant ceux qui menacent celle des patrons restent tabous.

Un regrettable tabou collectif

Pour Olivier Torrès, fondateur du premier observatoire de la santé des dirigeants de PME, cette sorte de déni collectif s’explique par de multiples causes. Il y a d’abord des raisons historiques. En effet, les pionniers de la santé professionnelle, au XIXe et au début du XXe siècle se sont d’abord intéressés à d’autres catégories de travailleurs présentant alors une santé bien plus dégradée, comme les ouvriers. Mais l’autre motif de ce manque de considération vient des chefs d’entreprise eux-mêmes. “Sous l’emprise d’une idéologie du leadership laissant peu de place aux manifestations de faiblesse, ils évoquent rarement leurs problèmes de santé. C’est un dialogue entre sourds et muets”, expliquait-il récemment au quotidien Les Échos (20/06/17).
Une situation d’autant plus navrante que les chefs d’entreprise sont loin d’être épargnés par les risques professionnels. Dans un entretien accordé en 2013 au site spécialisé Carnets du Business, Olivier Torrès faisait déjà part de son inquiétude : “Le chef d’entreprise est extrêmement exposé. Il met en jeu sa propre personne. Les gens n’ont pas toujours conscience qu’un chef d’entreprise vit avec du stress en permanence. En temps de crises par ailleurs, les difficultés du patron sont amplifiées : la crise génère en effet du stress, et de l’incertitude supplémentaire pour les patrons. Leur réaction face à cela est généralement de travailler davantage pour assurer la continuité de leur affaire. Les dirigeants qui montent en capacité de travail prennent de ce fait moins de temps pour leur famille, leurs amis et de manière générale leur réseau social. En temps de crise, les dirigeants de petites entreprises qui disent avoir ‘le nez dans le guidon’ se multiplient. Sans parler d’urgence, il me semble donc que la situation est effectivement préoccupante.”

Stress, solitude, surcharge, incertitude…

À l’issue de son enquête, il avait, de façon plus formelle, identifié quatre facteurs pathogènes auxquels les chefs d’entreprise sont exposés avec une forte intensité :

Le stress : “Les chefs d’entreprises cumulent le stress. Certains n’y font pas ou plus attention. Certains positivent même à ce sujet, n’hésitant pas à affirmer qu’ils en ont besoin pour avancer. Mais le stress est pathogène.”

La solitude : “Le sentiment d’esseulement porte en effet également atteinte à la santé physique et mentale. Or il n’est pas rare que le travail du dirigeant le prive, à des degrés variables, de certains échanges socio-affectifs essentiels.”

La surcharge de travail : “Les Français font en moyenne 38,4 heures de travail hebdomadaires. Les cadres supérieurs fournissent généralement 55 heures de travail par semaine. Les chefs d’entreprise en font encore plus avec une moyenne de 65 heures.”

L’incertitude :Il a été démontré par des études épidémiologiques réalisées par des chercheurs américains que l’exposition prolongée des salariés à l’incertitude, à la suite d’un licenciement incompris par exemple, favorisait le développement d’ulcères et de cancers. Les mêmes études n’ont pas été réalisées pour le chef d’entreprise spécifiquement, mais il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils sont particulièrement exposés à ces risques étant donné que leur quotidien est fait d’incertitude, et notamment de celle liée au carnet de commandes.”

À cette liste de facteurs de risque, le chercheur hésitait à en ajouter un autre : la défiance. Les patrons ont en effet le sentiment de ne pas être aimés ni même compris. “La France n’aime pas ses entrepreneurs”, déplorent-ils souvent. Un ressenti qui n’est pas sans rappeler le fameux “manque de reconnaissance” dont se plaignent nombre de salariés.

Un impératif de bonne gestion

Une chose est toutefois sûre : la santé des dirigeants de PME devrait être envisagée comme un sujet de première importance. D’une part parce que les patrons ne méritent pas moins d’égards que les autres salariés. D’autre part, parce que les soucis de santé du dirigeant menacent la santé de l’entreprise tout entière. “Si un patron de PME meurt, la situation est critique pour l’entreprise. Une étude norvégienne réalisée en 2013 auprès d’entreprises de moins de sept ans évalue le risque de risque de dépôt de bilan à 20 %”, souligne Olivier Torrès. Pour les patrons de PME, se soucier de leur santé n’est donc pas moins légitime que de se soucier de celle de ses salariés. Préserver sa santé et celle de ses salariés est un impératif de bonne gestion.

Pour aller plus loin :

La santé du dirigeant. De la souffrance patronale à l’entrepreneuriat salutaire. Sous la direction d’Olivier Torrès, Éditions de Boeck (seconde édition), mai 2017, 256 p., 22,50 €.

Expedita