La compassion et le désarroi des managers face à la souffrance de leurs collaborateurs

Face à l’augmentation des risques psychosociaux, il a semblé naturel de considérer les managers comme les mieux placés pour remédier à la souffrance de leurs collaborateurs. Toutefois, comme le rappelle Stéphan Pezé, Maître de conférences en gestion à l’Université Paris Est Créteil, à l’occasion d’un récent entretien accordé à l’Agence nationale pour l’amélioration de travail (Anact), cette nouvelle responsabilité managériale n’est pas des plus aisée. Si bien que, fréquemment, le recours à un psychologue professionnel s’impose.

Évacuons d’abord un cliché ! Face à la souffrance de leurs collaborateurs, les managers sont tout sauf insensibles. Comme le précise Stéphan Pezé à l’issue de l’étude qu’il a menée sur le sujet, “ceux que j’ai rencontrés ont d’abord été ennuyés et ont fait preuve d’empathie ou de compassion. Le degré est variable selon la relation avec le collaborateur, le problème, et la projection du manager par rapport à ce qui est vécu. Ils ont parfois eu un cas de conscience et ne souhaitaient pas sanctionner leurs collaborateurs”. L’immense majorité des managers fait donc preuve de bienveillance à l’égard de leurs subordonnés en souffrance.

Le “bricolage intelligent” des managers

Lorsqu’un problème survient, les managers s’efforcent de le résoudre du mieux qu’ils le peuvent. Ce n’est pas évident car, comme le rappelle Stéphan Pezé, “il n’y a pas de science exacte, il faut faire au cas par cas”, si bien que les actions mises en place révèlent, selon lui, “le travail de bricolage intelligent dont font preuve les managers”. Ainsi, “si le collaborateur en difficulté estime que le problème est passager et qu’il peut le gérer seul en veillant à réduire l’impact sur son travail, le manager effectuera un suivi léger pour s’enquérir de l’évolution de la situation. En revanche, dans le cas d’un problème qui devient difficilement gérable par le collaborateur, les managers rencontrés s’efforçaient d’être à l’écoute et de mettre des actions en place pour l’accompagner au mieux selon le problème en question”.
De la sorte, les managers accomplissent un “management de régulation” absolument essentiel mais pas toujours suffisant. En effet, “certains problèmes personnels sont hors de portée de l’action du manager”. Si bien que ce dernier peut alors ressentir le besoin de “rediriger le collaborateur en souffrance vers des personnes du corps médical”. Stéphan Pezé rejoint ainsi notre propre expérience. Au fil de nos missions, nous avons en effet pu vérifier que lorsqu’un manager identifie un travailleur en souffrance, il se sent souvent démuni pour lui venir en aide car il redoute, à juste titre, de ne pas disposer des compétences nécessaires pour recueillir cette souffrance, établir le bon diagnostic, trouver les mots et les solutions appropriés. Sans compter que sa fonction et sa position dans la hiérarchie peuvent faire obstacle à un échange libre et sans tabou.

Soutenir aussi les managers

C’est pourquoi, lorsque les entreprises font appel à un psychologue social, elles le font souvent dans un double objectif : pour venir en aide au travailleur en souffrance bien sûr, mais aussi pour ne pas laisser le manager seul face à un problème qui n’entre pas dans le cadre de ses missions habituelles. Il convient en effet de ne pas sous-estimer le désarroi des managers dans ces circonstances. “Le manager doit être vigilant à ne pas consacrer trop de temps à cet accompagnement pour ne pas mettre en péril son travail, garder du temps pour réaliser ses tâches, ses objectifs et diminuer les impacts sur le collectif. La limite va s’imposer selon le cas rencontré mais il y a un équilibre à trouver en faisant preuve d’équité afin de ne pas prolonger cet état d’exception”, met en garde Stéphan Pezé.
Dans une situation appelée à le solliciter professionnellement et émotionnellement, “le manager doit pouvoir en parler à son N+1 (ce qui est plus ou moins facile selon l’historique de la relation), le solliciter pour des conseils afin de ne pas être isolé pour traiter ce problème”, mais il doit aussi “savoir rediriger vers les services compétents, en temps voulu et si nécessaire”. En effet, si la prévention et la gestion des risques psychosociaux sont incontestablement devenues des questions managériales, cela ne signifie nullement qu’elles doivent reposer sur les seules épaules – déjà bien chargées – des managers.

Pour aller plus loin :

“Comment les managers peuvent-ils gérer la souffrance de leurs collaborateurs ?”, entretien avec Stéphan Pezé, Anact, 14/06/17.
“Les managers à l’épreuve de la souffrance de leurs collaborateurs”, par Stéphan Pezé, Revue des conditions de travail n°1, octobre 2014.

Expedita