“Les cas de harcèlement moral ou de blessures involontaires pour manquement à l’obligation de santé et sécurité de l’employeur s’accumulent devant les tribunaux”, relèvent les membres du cabinet d’avocats MI2 avant d’inciter les employeurs à se prémunir du risque pénal en prêtant une attention renouvelée à la prévention des risques professionnels, à commencer par les risques psychosociaux (RPS).
“Thème au cœur de l’actualité juridique (lois santé, travail, vigilance) et judiciaire (procès TATI), l’intégrité physique et psychique du travailleur est aussi au centre des préoccupations sociétales, politiques et économiques. L’arsenal répressif comme la politique pénale du parquet ont suivi ce mouvement, au point que le droit pénal du travail supplante le droit pénal des affaires”, observe Marie-Laure Ingouf et ses collègues du cabinet d’avocats MI2, dans une récente livraison de leur newsletter de veille juridique (1).
De la réparation à la prévention des risques
Ces juristes spécialisés dans le droit de la responsabilité pénale remarquent une hausse des cas de contentieux pour manquement à l’obligation de santé et sécurité de l’employeur, notamment en matière de harcèlement moral et de risques psychosociaux (RPS). Une situation qui, selon eux, trouve sa source dans une évolution du droit. “Un changement profond de paradigme est en cours depuis plusieurs années, passant d’une logique de réparation à une logique de prévention, ayant pour conséquence un risque pénal aggravé de l’employeur”, expliquent-ils. À titre d’exemple, ils soulignent ainsi que “les lois Santé de 2015 et Travail de 2016 ont conforté le rôle préventif de la médecine du travail et l’objectif d’anticipation des risques d’altération de la santé des travailleurs au moyen d’une surveillance renforcée”.
Sanction du “défaut de vigilance”
Parfaitement justifié dans son intention – en effet ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ? – cet accent mis sur la prévention se traduit toutefois, en droit, par une multiplication des obligations qui incombent aux employeurs et dont le non-respect peut être sanctionné même s’il ne conduit pas à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Et si un incident est porté devant les tribunaux, les choses se corsent encore, “le principe de prévention” ayant pour corollaire, dans les tribunaux, la notion grandissante de “devoir de vigilance”. “Toute atteinte à la santé et/ou la sécurité du travailleur sera analysée par le juge pénal sous le prisme du devoir de vigilance de l’établissement”, préviennent les avocats.
Multiplication des obligations de prévention
Pour s’acquitter de ce “devoir de vigilance”, les employeurs sont ainsi tenus d’évaluer les risques professionnels – tant physiques que psychiques – présents dans leur établissement, mais aussi de :
- “mener les actions réglementaires et/ou pertinentes de prévention, d’information et de formation” ;
- “mettre en place une organisation et des moyens adaptés” ;
- “veiller à l’actualisation régulière de ces mesures préventives pour coller à la réalité de leur établissement”.
Mutation du “harcèlement moral” et des RPS
Cette évolution n’épargne bien sûr pas la question délicate des risques psychosociaux (RPS) où elle prend même une ampleur spécifique dont témoigne la mutation qui affecte la notion de harcèlement moral. “Auparavant, l’intention de nuire était exigée pour caractériser le délit. D’ailleurs le choix du vocable ‘harcèlement’ était en soi porteur d’une connotation négative et sans équivoque : harceleur et harcelée, bourreau et victime. Force est de constater que ce prisme a disparu au profit d’une logique préventive, plaçant au cœur du dispositif la santé du salarié et son bien-être au travail” analysent les avocats du cabinet du cabinet MI2. Bien entendu, cela n’est pas neutre devant les tribunaux puisque “désormais, le juge pénal considère qu’il peut y avoir harcèlement sans volonté de nuire, pourvu qu’il y ait dégradation des conditions de travail”.
Anticiper le risque pénal par la prévention
Face à cette modification du droit, les employeurs ne sont toutefois pas entièrement démunis. Conformément à ce que souhaitait le législateur, il leur revient en effet de se prémunir d’éventuelles condamnations en portant une attention renouvelée au bien-être professionnel de leurs employés et en étant en mesure d’apporter la preuve des actions menées. En termes contentieux, il s’agit, comme l’écrivent les avocats, “d’anticiper le risque pénal en montrant au juge pénal que les diligences préventives ‘nécessaires’ ont été accomplies”. Ce serait toutefois une erreur de n’envisager ces mesures de prévention que sous la seule forme d’un bouclier juridique. En effet, comme ne manquent pas de le souligner les juristes, “au-delà de la responsabilité pénale, les enjeux de la prévention des risques sont multiples avec un fort impact sur l’écosystème de l’établissement”, notamment aux plans humains, sociaux et économiques.
(1) “Risque pénal – Santé et sécurité au travail”, Newsletter MI2, n° 4 – janvier 2018.
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