“Depuis 2014, la justice s’intéresse à Pôle emploi. Une information judiciaire contre X pour harcèlement moral, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, homicide involontaire, non-assistance à personne en danger et conditions de travail contraires à la dignité de la personne a été ouverte”, révèle une enquête de franceinfo. Quelle qu’en soit l’issue, cette procédure met en évidence la nécessité de prêter une attention redoublée à la souffrance professionnelle lors des périodes de transformation des organisations.
L’enquête visant Pôle Emploi fait suite au suicide d’Aurore, une employée de Pôle emploi qui s’est pendue à son domicile à l’âge de 32 ans. Selon la plainte déposée par les parents de la jeune fille, elle aurait été victime de pression sur son lieu de travail, de surmenage, et de plusieurs conflits avec sa hiérarchie. Mais, selon franceinfo, le cas d’Aurore ne serait pas isolé. “Depuis près de cinq ans, les conditions de travail au sein de l’établissement Pôle emploi ne cessent de se dégrader au point de devenir dangereuses pour la santé des agents” affirment les plaignants qui font état de quelque 17 suicides d’origine professionnelle dans l’organisme public entre 2008 et 2014.
Déstabilisation professionnelle et émotionnelle
Cette période est celle qui a suivi la fusion entre l’ANPE et les Assédic. Le 13 février 2008, la loi réformant le service public de l’emploi a en effet décidé de rassembler en un seul organisme les deux entités jusqu’ici chargées des questions d’emploi : l’ANPE qui gérait l’accompagnement des demandeurs d’emploi et l’Assedic qui était chargé de leur indemnisation. Si justifiée et rationnelle soit-elle, cette réorganisation s’est toutefois traduite par des difficultés et une importante souffrance professionnelle pour les salariés concernés. “La fusion a été terrible, nous avions deux métiers qui étaient totalement différents” confie à franceinfo Philippe Sabater, ancien responsable national du syndicat SNU-Pôle emploi.
Un diagnostic des risques psychosociaux demandé par la direction des ressources humaines soulignait, dès 2010, la situation délicate résultant de la fusion. Selon franceinfo, cette étude établissait que, “près de 90 % des salariés estimaient ne pas avoir été ‘bien préparés’, voire pas ‘du tout’, à ces changements affectant leur travail”. Les témoignages recueillis par l’enquête pointent ainsi, chez les agents affectés, le sentiment de ne plus pouvoir effectuer correctement leur travail, faute de disposer du temps, des outils ou des compétences nécessaires dans leurs nouvelles affectations. Or, comme le savent les psychologues du travail, ce “travail empêché” est l’une des principales causes de souffrance professionnelle.
Santé (des salariés) rime avec efficacité (de l’organisation)
La situation décrite à Pôle emploi vient ainsi souligner que la souffrance professionnelle des salariés trouve souvent sa source dans des dysfonctionnements de l’organisation. Preuve de ce lien indissociable entre santé des salariés et efficacité de l’organisation, au sein de Pôle emploi, les arrêts maladie de plus de huit mois auraient augmenté de 32 % entre 2009 et 2010. “L’accumulation de changements récurrents instaure une instabilité importante du contexte de travail, qui génère une dégradation des conditions de travail pathogènes pour la santé physique et mentale des agents”, notait un rapport pointant également “l’impossibilité d’appropriation correcte” et “les dysfonctionnements récurrents” des outils de travail, notamment informatiques.
À ce jour, il est bien sûr impossible de préjuger de l’issue de la procédure en cours. Une chose est sûre toutefois : les restructurations, les fusions et, plus globalement, toutes les transformations ont toujours un fort impact émotionnel pour les salariés concernés. Lors de ces projets, les organisations se doivent donc de prendre des mesures adéquates pour le réduire. Cela comprend bien sûr, au premier chef, la bonne conception de la transformation : la nouvelle organisation répond-elle bien aux besoins ? Les nouveaux outils envisagés sont-ils adaptés ? Les employés disposent-ils des compétences nécessaires pour accomplir leur mission ? En l’espèce, cela ne devait pas être le cas à Pôle Emploi, puisque, après avoir promu la polycompétence des salariés issus de l’Assedic et de l’ANPE, l’organisme est finalement revenu, en 2015, à une spécialisation des métiers…
Pour des dispositifs de suivi de la souffrance professionnelle
C’est donc d’abord au niveau organisationnel et managérial que se joue le bien-être professionnel des collaborateurs. Mais, dans les contextes spécifiques de transformation, on ne saurait trop plaider pour mettre également en place des dispositifs permettant de suivre l’évolution de la qualité de vie au travail (QVT) et de l’état psychologique des salariés, de façon à pouvoir y apporter des réponses collectives et individuelles adaptées. Ces outils permettent d’agir avant que la souffrance professionnelle n’explose et que ne se produisent des drames déstabilisant durablement l’organisation.
Pour aller plus loin : “Je me promenais avec une corde dans le sac” : comment la souffrance au travail a gagné les rangs de Pôle emploi. Enquête franceinfo, 04/09/18.