Une récente enquête réalisée cet été par Cadremploi révèle l’ampleur de la souffrance psychologique éprouvée par les cadres. Parmi d’autres résultats, quelque 50 % des cadres estiment avoir déjà été victimes d’un burn-out, tandis que 36 % pensent en avoir fait un mais sans toutefois en être sûrs ! Philippe Mège, Président d’Impact Prévention décrypte ces chiffres étonnants.
Quelque 86 % des cadres pensent avoir déjà fait un burn-out. N’est-ce pas exagéré ?
Ces chiffres sont effectivement impressionnants et l’on peut légitimement douter que la quasi-totalité des cadres aient réellement été victimes d’un burn-out au sens précis et médical du terme. En raison de son usage immodéré par la presse, le terme de burn-out est en effet devenu une sorte de synonyme de fatigue intense, de lassitude, de stress… C’est désormais un mot-valise souvent utilisé à mauvais escient mais pour décrire un état de souffrance psychologique qui n’en est pas moins réel. Parmi les 86 % de cadres qui déclarent avoir de façon certaine ou probable avoir fait un burn-out, tous n’en ont vraisemblablement pas fait. Mais tous font certainement état avec sincérité d’une véritable souffrance qu’il convient de prendre très au sérieux. Se déclarer en burn-out, c’est lancer un “appel à l’aide” et attirer l’attention sur une situation que l’on juge difficilement tenable… Or, à l’évidence, de nombreux cadres sont aujourd’hui confrontés à des situations très délicates.
Pourtant, dans l’imaginaire collectif, le statut de cadre fait encore figure de position très enviable voire convoitée…
Le prestige du statut du cadre est en grande partie un héritage des Trente glorieuses qui étaient incontestablement son âge d’or. Hélas, les choses ont aujourd’hui bien changé tant les cadres, tout particulièrement les cadres intermédiaires, se retrouvent au cœur des tensions et mutations qui traversent la société tout entière. D’un point de vue macro-économique ou macro-sociologique, on peut ainsi relever que l’érosion rapide des classes moyennes fait écho au déclin des cadres qui représentent, en quelque sorte, les classes moyennes de l’entreprise.
Ce déclin relatif suffit-il à expliquer la souffrance exprimée ? Dans l’enquête de Cadremploi, les cadres imputent leur burn-out à “la pression professionnelle” (63 %), à “une charge de travail trop importante” (59 %) ou encore au “manque de reconnaissance pour le travail fourni” (54 %).
En effet, il faut aussi évoquer les mutations managériales, technologiques et organisationnelles qui, ces dernières années, ont fortement fragilisé les cadres en faisant la promotion d’une entreprise plus plate, délestée des niveaux hiérarchiques intermédiaires. Rappelons ainsi le mot d’ordre extrêmement violent lancé en 2011 par Gary Hamel, professeur à la London Business school dans les colonnes de la prestigieuse Harvard Business Review : “D’abord, virez tous les managers !” Rassurons-nous, dans la pratique, cela ne s’est généralement pas fait : les cadres sont toujours là mais ils ont été, pour une grande part, dépouillés de leur prestige, de leur pouvoir et surtout de leur place dans la hiérarchie. Ils ne sont plus, comme auparavant, des supérieurs à qui des subordonnés doivent obéir mais des managers chargés d’animer des équipes et de motiver des collaborateurs. Tout cela n’est d’ailleurs pas négatif en soi mais crée une forte pression, car il y a, en revanche, quelque chose qui n’a pas changé : les cadres restent… responsables ! L’explosion actuelle des risques psychosociaux n’est pas un effet de mode, elle est la conséquence directe de ces mutations.
L’enquête souligne aussi le sentiment d’isolement qui est celui des cadres. Pensez-vous qu’il soit justifié ?
Dans l’enquête, 46 % des cadres estimant avoir fait un burn-out déclarent ne pas avoir été accompagnés par leurs supérieurs durant cette période bien que ceux-ci en aient été informés. C’est regrettable, mais, pour ma part, je m’abstiendrai de blâmer qui que ce soit. En effet, l’expérience nous a appris que tous les travailleurs, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie, se trouvent toujours fort démunis face à la souffrance psychologique ressentie par leurs collègues. Chacun redoute, à juste titre, de ne pas disposer des compétences nécessaires pour recueillir cette souffrance, établir le bon diagnostic et trouver les mots et les solutions appropriés. Les managers confrontés à ce type de situation ne s’en cachent d’ailleurs pas. Ils disent s’être sentis “inquiets” (71 %), “seuls” (45 %), “stressés” (19 %), voire carrément “perdus” (16 %), si bien qu’ils sont 87 % à admettre “ne pas être suffisamment formés pour faire face à ce type de situations”. C’est pourquoi, dans ces circonstances, la meilleure solution consiste, pour l’entreprise, à recourir aux services d’un psychologue du travail diplômé capable d’assurer le suivi des salariés en souffrance. Seul un professionnel peut poser le juste diagnostic et apporter les bonnes réponses.
Justement, il semble que ce diagnostic soit particulièrement difficile à poser. Les auteurs de l’enquête se demandent ainsi si les cadres ne se voilent pas la face quant à la souffrance de leurs collaborateurs. Est-ce également votre avis ?
Il est en effet assez piquant de relever que, parmi les cadres persuadés à 86 % d’avoir été victimes d’un burn-out, seuls 25 % pensent qu’un membre de leur équipe a pu, lui aussi, faire un burn-out ! Cette distorsion de la perception prouve que, pour avoir une juste vision de la situation en matière de risques psychosociaux, la seule solution consiste à réaliser un diagnostic RPS. Sans celui-ci, il est impossible d’obtenir un consensus sur la situation de l’entreprise et sur les moyens à mettre en œuvre pour combattre les RPS. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, les risques psychosociaux doivent être évalués dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER) que doit réaliser, et mettre à jour annuellement, toute entreprise. Cela peut sembler contraignant mais c’est en réalité extrêmement bénéfique pour l’entreprise car seul un risque identifié peut être efficacement combattu. Les réponses données par les cadres à l’occasion de cette enquête ne devraient pas être ignorées : “alarmantes” au sens propre du terme, elles sont un signal d’alarme qui doit être entendu.