Évolution des risques professionnels sur 20 ans : moins de risques physiques, davantage de charge mentale

Alors que nombre de risques physiques ont connu une diminution significative au cours des vingt dernières années, les contraintes psychologiques sont, elles, en forte augmentation.

Les risques professionnels se transforment en même temps que le tissu économique et que les modes d’organisation du travail. C’est ce que permet de vérifier l’enquête Sumer réalisée tous les sept ans depuis 1994 par le ministère du Travail pour mesurer l’exposition des salariés aux risques professionnels.

Des contraintes physiques à la baisse

L’édition 2017, établie à partir de questionnaires menés par des médecins de travail auprès de 26.500 salariés pendant plus d’un an révèle que “la plupart des expositions des salariés aux contraintes physiques ont baissé entre 1994 et 2017”. Ainsi, grâce à la diffusion progressive des aides mécanisées, de moins en moins de salariés pratiquent la manutention manuelle de charges sur des périodes longues : 4,7 % en 2017 contre 7 % en 1994. Autre signe de l’évolution des modes de production, “la prise de conscience des conséquences de l’utilisation, des pesticides pour la santé” a permis une réduction de 15 points de l’exposition à des agents et produits chimiques chez les agriculteurs.

Niveau élevé d’intensité du travail

En revanche, l’enquête pointe “une intensité du travail demeurant élevée”. Ainsi, “environ un tiers des salariés subissent toujours au moins 3 contraintes de rythme, soit 4 points de plus qu’en 1994”. Quelque 56 % rapportent par exemple un “rythme de travail imposé par une demande extérieure obligeant à une réponse immédiate”. De même, si le contrôle permanent exercé par la hiérarchie, qui concerne 25 % des salariés en 2017, est en diminution par rapport à 1994 (- 4 points), cela s’explique probablement par l’emprise croissante des systèmes de contrôle algorithmiques. Le contrôle exercé via des systèmes informatiques a en effet augmenté de 18 points entre 1994 et 2017 et concerne désormais près d’un tiers des salariés. “Ce mouvement reflète la diminution de la hiérarchie intermédiaire et la diffusion des outils numériques, y compris dans les ateliers”, écrivent les experts de la Dares.

Hausse de la charge mentale

Cette évolution n’est évidemment pas sans conséquence pour la santé des travailleurs. En effet,“l’intensité du travail est un des facteurs essentiels des risques psychosociaux au travail” en même temps qu’elle révèle de vives difficultés organisationnelles. Signe de la difficulté des entreprises à s’adapter à un environnement volatil et incertain, “la proportion de salariés déclarant devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue a fortement augmenté sur la période, de 46 % en 1994 à 58 % en 2017, ce qui est très coûteux en termes de charge mentale”. De même, 30 % des salariés déclarent ne pas disposer du temps nécessaire pour faire correctement leur travail, alors que ce sentiment est une source majeure d’insatisfaction et de mal-être professionnel.

Chute inquiétante de l’autonomie

En contradiction avec les promesses d’un néo-management fondé sur la responsabilisation et l’initiative des individus, l’étude souligne aussi que “les marges de manœuvre tendent à diminuer sur la période 2003-2017, réduisant ainsi l’autonomie des salariés”. En 2017, 42 % des salariés ne peuvent pas faire varier les délais fixés, contre 35 % en 2003. Les catégories socioprofessionnelles les plus concernées par cette évolution délétère sont employés administratifs (+ 10 points), ouvriers non qualifiés (+ 9 points) et qualifiés (+ 8 points). Or, comme le soulignent les analystes de la Dares, “le manque d’autonomie est un autre facteur essentiel des risques psychosociaux au travail”.

La fin du mythe des managers pervers

En soulignant ainsi les causes fondamentales, aussi bien technologiques que macro-économiques, des risques psychosociaux, cette étude rend justice aux managers et aux travailleurs. Plus question en effet, comme voici une vingtaine d’années, de faire porter la responsabilité du mal-être au travail à des managers prétendument autoritaires et pervers ou à des employés trop fragiles. Ainsi, parmi l’ensemble des salariés, seule une minorité déclare subir des comportements hostiles (15,6 %), méprisants (11,1 %), un déni de reconnaissance (9,2 %) ou des atteintes dégradantes (2,5 %). Ces résultats conduisent à une salutaire prise de conscience : ils signifient que la souffrance psychologique des salariés, loin d’être fortuite ou accidentelle, résulte des profondes évolutions à l’œuvre dans la société et le monde du travail. Voilà pourquoi les organisations doivent s’y attaquer sans aucune culpabilité mais avec détermination comme elles le font de tout problème d’importance.