On s’en doutait un peu, mais une étude récemment publiée par la Revue française de gestion, le confirme : les patrons de PME sont particulièrement exposés au burn-out. Si bien que ses auteurs plaident pour un diagnostic préventif permettant d’identifier et d’épauler les patrons en souffrance.
Toute personne ayant côtoyé un patron de PME ne peut l’ignorer : en raison de ses responsabilités, de ses horaires de travail à rallonge, de son implication émotionnelle et souvent aussi de sa précarité économique, celui-ci est particulièrement exposé au stress et aux autres facteurs de risques psychosociaux.
Les patrons de PME, angle mort de la santé au travail
Longtemps la souffrance psychologique des dirigeants d’entreprise est pourtant restée un angle mort de la santé au travail. Plusieurs raisons expliquent cette cécité. Il y a d’abord un certain préjugé de nature idéologique, laissant croire que les risques psychosociaux seraient intrinsèquement liés à une situation de subordination et ne pourraient donc concerner les patrons. Il y a aussi une cause administrative et statutaire : les chefs d’entreprises étant fréquemment des travailleurs non salariés (TNS), ils ne sont pas suivis par la médecine du travail et passent donc sous les radars de celle-ci, si bien que les données épidémiologiques faisaient défaut pour s’emparer du sujet.
C’est précisément pour remédier à cette lacune qu’Olivier Torrès et Charlotte Moysan-Kinowski, chercheurs en gestion de l’université de Montpellier et animateurs de l’Observatoire Amarok de la santé des travailleurs non salariés, ont lancé une vaste enquête portant sur quelque 5.672 patrons de PME de tous secteurs et de diverses tailles pour déterminer leur risque de faire un burn-out.
Dépister l’épuisement, première phase du processus burn-out
Concrètement, les dirigeants concernés ont répondu aux questions de l’échelle BMS-10 (Burn-out Mesure Short version) utilisée internationalement pour détecter les cas de burn-out. Comme l’expliquent les chercheurs, le choix de cet outil (également appelée “échelle de Pines”) a été motivé par le fait qu’il se penche plus particulièrement sur le critère de l’épuisement. Or, “une tendance se dégage des recherches pour reconnaître l’épuisement comme le premier signe d’un burn-out à venir. En effet, le burn-out est un processus débutant par l’épuisement (émotionnel, mental et physique) et se poursuivant par la dépersonnalisation et la diminution de l’efficacité professionnelle”. L’échelle BMS-10 se révèle donc particulièrement utile dans le cadre d’une démarche de prévention puisqu’elle permet de détecter les individus en risque de burn-out et pas uniquement ceux qui en sont déjà atteints.
Un niveau de risque variable selon les métiers et les secteurs
L’analyse des résultats a démontré “que le burn-out est un phénomène universel. Il concerne tout autant les dirigeants que la population des salariés et des cadres”. En effet, 17,5 % des patrons de PME présenteraient un risque de burn-out. Et des niveaux proprement alarmants sont observés chez les artisans (35,3 %), les agriculteurs (35,2 %) et les experts-comptables (30,2 %). Les causes de ces épuisements sont très variées. Olivier Torrès et Charlotte Moysan-Kinowski pointent ainsi le rôle du “sentiment d’impuissance” et de “l’agri-bashing” pour les agriculteurs et celui “des évolutions de la législation de leur secteur” pour les experts-comptables. Parmi les experts-comptables et commissaires aux comptes d’Ile-de-France, 72,32 % déclarent se sentir menacés par “l’instabilité législative”, 71,81 % par “le durcissement des lois régissant leur profession” et 65,96 % par “la complexité des lois”.
Un enjeu de santé publique, doublé d’un enjeu économique
Pour les auteurs de l’étude, la question du burn-out des dirigeants “doit devenir un enjeu de santé publique car l’impact d’un burn-out du chef d’entreprise sur sa propre entreprise et sur les emplois afférents est colossal”. En effet, plus de 99 % des entreprises françaises étant des PME, “ce sont des centaines de milliers de chefs d’entreprise qui sont directement concernés et des millions d’emplois salariés qui, indirectement, peuvent être fragilisés”.
Olivier Torrès et Charlotte Moysan-Kinowski suggèrent de procéder à un diagnostic le plus précoce possible afin de proposer aux patrons présentant des niveaux importants d’épuisement un accompagnement personnalisé par un psychologue de façon à leur éviter l’épreuve du burn-out. Du reste, le simple fait de répondre à un questionnaire sur ces questions semble avoir provoqué une prise de conscience et une modification de comportement des intéressés.
Les effets bénéfiques d’une prise de conscience des patrons
L’effet bénéfique de la sensibilisation aux risques psychosociaux est impressionnant. À la question “Votre participation à l’étude a-t-elle modifié le regard que vous portiez sur votre santé ?”, 65,4 % des dirigeants interrogés ont répondu oui, tandis que 61,5 % ont même confié avoir “modifié la façon dont ils se préoccupent de leur santé ?” grâce à “une prise de conscience globale de l’impact de leur travail et de l’importance de leur capital-santé”. Mieux : 39,8 % des dirigeants employant au moins un salarié admettent “avoir aussi changé de regard sur la santé de leurs salariés”. Autrement dit : un dirigeant qui se préoccupe davantage de sa santé est plus enclin à se soucier aussi de celle de ses salariés. On ne saurait mieux démontrer que, pour un chef d’entreprise, préserver son bien-être psychologique relève tout simplement de la bonne gestion.
(1) Dépistage et prévention du risque de burn-out des chefs d’entreprise. D’une recherche académique à une valorisation sociétale, par Olivier Torrès et Charlotte Moysan-Kinowski, Revue française de gestion, n° 284, octobre 2019.