À l’occasion de la Semaine de la QVT, Impact Prévention se penche sur le rôle crucial que cette démarche est appelée à jouer pour réussir la reprise du travail à l’issue de la crise sanitaire. Le troisième volet de cette série souligne combien il est nécessaire de ne pas prendre à la légère la décision de recourir au télétravail.
Accélérateur de changement, la crise sanitaire a considérablement dopé le recours au télétravail. Selon un sondage réalisé au début du confinement, “28 % des entreprises, qui ne proposaient pas le télétravail auparavant, ont changé de position et déclarent l’avoir finalement accordé à leurs salariés pendant les mouvements sociaux de décembre 2019”. De même, “38 % des salariés dont le métier permet le télétravail mais qui ne le pratiquaient pas auparavant l’ont adopté pendant cette même période”.
Extension fulgurante du domaine du télétravail
Or, dans nombre d’entreprises, cette solution ponctuelle est appelée à se pérenniser et à s’étendre. Ainsi, le 6 mai dernier, Xavier Chereau, le directeur des ressources humaines et de la transformation du groupe PSA a annoncé – lors d’un direct sur LinkedIn ! -, la décision du constructeur automobile de “renforcer le travail à distance, et d’en faire la référence pour les activités non reliées directement à la production”. En clair, pour quelque 80.000 de ses salariés, le télétravail deviendra la norme et non l’exception !
À l’appui de ce genre de décision, les entreprises ne manquent jamais d’invoquer l’amélioration de la Qualité de vie au travail qui en résulterait. Elles n’ont pas tort car le télétravail permet en effet de répondre à des demandes s’inscrivant dans une dynamique de QVT : réduction du temps passé dans les transports, accroissement de la flexibilité et de l’autonomie, meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée, voire désir d’installation hors des grandes agglomérations urbaines… Preuve que ces avantages indéniables séduisent massivement, un sondage de mai 2020 a établi que 73 % des salariés qui ont recouru au télétravail lors du confinement disent “souhaiter le poursuivre ensuite”.
Plus forte exposition aux risques psychosociaux
En revanche, cet engouement sans précédent comporte toutefois un risque : celui de croire que le recours au télétravail déboucherait nécessairement et automatiquement sur une amélioration de la QVT. Or, ce n’est, hélas, pas si simple ! Ainsi, selon une vaste étude de l’Insee, portant sur les cadres télétravailleurs, ces derniers ne seraient finalement ni plus ni moins heureux que leurs collègues travaillant au bureau.
Ce résultat contre-intuitif s’explique principalement par une plus forte exposition des télétravailleurs aux risques psychosociaux. “Le niveau de satisfaction des cadres en télétravail n’est pas significativement différent de celui de leurs collègues non-télétravailleurs” car “tout se passe comme si les avantages du télétravail étaient contrebalancés par une moins bonne santé et de moins bonnes conditions de travail : allongement et désynchronisation des périodes de travail, isolement du collectif de travail sans une réduction des sollicitations et de l’intensité du travail demandé”, écrivent les auteurs.
Risque pour la cohésion des salariés
Pour de nombreux praticiens du management, la généralisation du télétravail porte aussi en germe un risque non négligeable de déshumanisation du travail qui irait totalement à l’encontre des objectifs de la QVT, voire de l’essence même de l’entreprise. Dans une tribune publiée par le magazine Stratégies, Bernard Sananès, président du cabinet d’étude et de conseil en communication Elabe fulmine : “Peu de choses auront réussi à me mettre en colère pendant le confinement. Le télétravail érigé en dogme, en nouveau graal, en est une.” Et d’expliquer : “Si j’ai choisi à un moment de ma vie de créer une entreprise, c’est parce que je crois que l’entreprise est une communauté […]. C’est aussi pour rejoindre ou créer un collectif incarné, une équipe, qui vibre, qui s’anime, qui se bouscule. Dans ses bons et ses mauvais moments. Dans les doutes et les espoirs. Dans les compétitions gagnées comme dans les engueulades d’un client.”
Autre risque parfois pointé : celui d’une dislocation de l’organisation. “L’entreprise devrait s’interroger sur les conséquences à long terme d’une mutation contribuant à faire de l’entreprise une ‘réalité virtuelle’. Quel impact cela aura-t-il sur la cohésion des salariés ? Dans un pays où les élites sont accusées d’être ‘lointaines’ et ‘coupées des réalités du terrain’, le choix de généraliser le télétravail parmi les plus hauts niveaux hiérarchiques mérite d’être mûrement réfléchi”, met en garde Philippe Schleiter, fondateur du cabinet de conseil en management DeltaLead.
Un déficit d’accompagnement à combler d’urgence
Est-ce à dire que le télétravail représenterait une fausse bonne idée ? “Le télétravail n’est ni bon ni mauvais en lui-même. Tout dépend de la façon dont il est mis en place”, tempère Lucie Czap. Cette experte en ergonomie cognitive exerçant au sein des équipes d’Impact Prévention déplore surtout qu’“un grand nombre de salariés soient propulsés dans le télétravail sans avoir été formés à cette nouvelle configuration de travail”.
En effet, selon une étude parue en mai dernier, seuls 30 % des salariés télétravailleurs affirment avoir été accompagnés dans la mise en place de cette pratique via une formation, une sensibilisation aux risques, etc. Et il en va de même pour les managers : seuls 36 % d’entre eux ont été formés à l’accompagnement de leurs collaborateurs dans la pratique du télétravail. Preuve qu’il s’agit à leurs yeux d’une lacune, “45 % des managers n’ayant pas été accompagnés auraient souhaité l’être”. Ce vœu devrait être toutefois être entendu car “63 % dirigeants reconnaissent que la mise en place du télétravail implique, pour les managers, un véritable changement de mode de management, et 49 % estiment qu’elle rend leur rôle plus difficile”.
Cette lucidité est heureuse car, seul cet accompagnement permettra que le télétravail tienne ses promesses d’amélioration de la QVT des salariés et de la performance des organisations.