Des télétravailleurs finalement ni plus ni moins heureux que leurs collègues ?

Selon une récente étude de l’Insee, les cadres télétravailleurs ne sont pas nécessairement plus heureux au travail que leurs collègues restés entre les murs du bureau ou de l’open space. En cause : une exposition supérieure à de nombreux risques psychosociaux (RPS). Ces inconvénients peuvent toutefois être résorbés à condition de prendre des mesures d’organisation et de sensibilisation adaptées.

Moins de temps perdu dans les transports, meilleure conciliation des vies professionnelles et familiales, environnement de travail plus propice à la concentration… Depuis qu’il est rendu possible par la démocratisation des technologies numériques, le télétravail est fréquemment présenté comme un moyen quasi infaillible d’améliorer le bien-être professionnel des salariés, à commencer par celui des cadres.
Pour cette raison et quelques autres comme, par exemple, le prix croissant de l’immobilier d’entreprise ou la nécessité d’adopter un mode d’organisation plus souple, le télétravail a fortement augmenté, tout particulièrement chez les cadres. Aujourd’hui, 63  % des télétravailleurs français sont des cadres du secteur privé non agricole membres d’un établissement de plus de 10 salariés. Quelque 11,1 % d’entre eux pratiquent le télétravail régulièrement et 5,2  %, désignés par le terme “télétravailleurs intensifs”, le pratiquent au moins deux jours par semaine. Or, une récente étude de l’Insee incite hélas à relativiser les bienfaits qu’ils en retirent en termes de conditions de travail tant ils sont exposés à de nombreux facteurs de risques psychosociaux.

Des horaires de travail plus longs et atypiques

Ces télétravailleurs intensifs se distinguent d’abord de leurs collègues restés dans les murs de l’entreprise par des durées de travail significativement plus longues. Ils déclarent travailler en moyenne 43  heures par semaine, contre 42,4  heures pour les non‑télétravailleurs et sont deux fois plus nombreux à travailler plus de 50  heures par semaine. Surtout, “leurs horaires sont plus atypiques et moins prévisibles”. Ils sont 1,6 fois plus nombreux à travailler le samedi, 2 fois plus nombreux à travailler entre 20  h et minuit, 6 fois plus nombreux à avoir des horaires variables d’un jour à l’autre.
Pour les auteurs, cela n’est pas neutre pour le bon fonctionnement de l’entreprise car “ces cadres risquent d’avoir des horaires de travail désynchronisés par rapport à leurs collègues ou collaborateurs”. Mais cela a aussi des conséquences sur leur vie privée. Contrairement aux attentes, “les cadres télétravailleurs intensifs ne semblent pas bénéficier d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée”. En effet, “le télétravail peut engendrer des conflits travail‑famille”. La situation typique ? Des membres de la famille interrompe le travail ou formulent des demandes de disponibilité qu’ils n’exprimeraient pas si la personne ne travaillait pas à la maison.

Une autonomie très relative et un travail plus intense

Autre déconvenue : alors que le télétravail est fréquemment associé à une plus grande autonomie, il semble que cela ne se vérifie que de façon très superficielle. Certes, “les télétravailleurs intensifs déclarent plus souvent pouvoir s’interrompre momentanément quand ils le souhaitent”, mais le gain de marges de manœuvre s’arrête là. “Télétravailler n’est pas associé à une plus grande autonomie opérationnelle, par exemple pour organiser le travail, les délais ou résoudre des incidents”, notent les auteurs.
De même, l’intensité du travail et la pression temporelle ne semblent pas réduites. Selon l’étude, “ces cadres ne sont pas moins nombreux à devoir travailler vite et à peine moins à devoir toujours ou souvent se dépêcher”. Au contraire, “ils déclarent 1,6 fois plus souvent que les non‑télétravailleurs devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue”.

Un risque accru d’isolement et de manque de soutien

De façon très logique, les télétravailleurs intensifs se sentent plus isolés du collectif de travail en raison de leur éloignement géographique. Tout en affirmant que le télétravail n’a pas dégradé la convivialité des relations avec leurs collègues de travail ni la reconnaissance témoignée par leurs supérieurs, ils font cependant état d’un “sentiment de distance non seulement vis‑à‑vis de leur hiérarchie mais également de leurs collègues ou collaborateurs” et estiment être “moins souvent aidés que leurs homologues par leur hiérarchie et par leurs collègues pour mener à bien leurs tâches”.
Le principal problème auquel ils sont confrontés est le déficit d’informations nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches. En effet, tandis que plus de 80  % des cadres non-télétravailleurs estiment disposer de ces informations, ce n’est le cas que d’environ 66  % des télétravailleurs.

Une plus grande anxiété par rapport à l’avenir

L’éloignement des cadres télétravailleurs semble aussi aller de pair avec une certaine anxiété par rapport à l’avenir : 47 % d’entre eux estiment que la sécurité de leur emploi est menacée, contre 12  % des non‑télétravailleurs. Toutefois, cette appréhension peut aussi s’expliquer par le fait qu’une forte proportion d’entre eux est employée dans des entreprises ayant connu des difficultés ou des changements importants : 21 % travaillent dans un établissement ayant connu un plan de licenciement (contre 4  % des non‑télétravailleurs), 37  % une restructuration (contre 22  %) et 37  % un rachat ou un changement de direction (contre 18  %). En l’espèce, le principal enseignement serait donc “une corrélation forte entre déploiement du télétravail et changements organisationnels de grande ampleur”.
Pour les auteurs, cet environnement professionnel plus instable pourrait également expliquer partiellement que “les télétravailleurs intensifs sont deux fois plus nombreux (17  % contre 8  %) à présenter un risque dépressif modéré ou sévère”, sans toutefois exclure que le télétravail puisse contribuer en lui-même à accentuer ce risque.

Tirer le meilleur parti du télétravail, en gérant les RPS

En conclusion, l’étude affirme qu’à caractéristiques socio‑économiques identiques, “le niveau de satisfaction des cadres en télétravail n’est pas significativement différent de celui de leurs collègues non-télétravailleurs” car “tout se passe comme si les avantages du télétravail étaient contrebalancés par une moins bonne santé et de moins bonnes conditions de travail : allongement et désynchronisation des périodes de travail, isolement du collectif de travail sans une réduction des sollicitations et de l’intensité du travail demandé”.
Tempérons toutefois ce propos ! Certes, le télétravail n’est pas, comme certains le prétendent encore, la solution miracle permettant d’améliorer automatiquement le bien-être professionnel de ceux qui le pratiquent. Mais il n’est pas non plus intrinsèquement néfaste. Comme tout type d’organisation du travail, le télétravail présente des avantages et des inconvénients qui doivent être connus et gérés aussi bien collectivement qu’individuellement. Il doit notamment faire l’objet de mesures de sensibilisations aux risques psychosociaux spécifiques qui lui sont associés. A cette condition, l’entreprise et ses salariés pourront en tirer le meilleur parti !

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