Maîtriser les enjeux humains du télétravail dopé par les grèves et le coronavirus

Les grèves de décembre 2019 et l’épidémie de Coronavirus de début 2020 ont-elles eu un impact sur le déploiement et la perception du télétravail en France ? C’est l’un des thèmes abordés par la troisième édition de l’étude Télétravail, récemment réalisé par l’Institut CSA et le Comptoir de la nouvelle entreprise Malakoff Humanis. Avec, à la clef, la confirmation que la mise en place du télétravail nécessite des mesures d’accompagnement, notamment en matière de prévention des risques psychosociaux.

Bien que le télétravail présente de nombreux avantages intrinsèques, nombre d’entreprises ne se décident à y recourir que pour faire face à des événements mettant à mal la possibilité des salariés de se rendre dans leurs bureaux habituels.

Grèves et épidémies dopent le télétravail

Le sondage réalisé par Malakoff Humanis a ainsi établi que “28 % des entreprises, qui ne proposaient pas le télétravail auparavant, ont changé de position et déclarent l’avoir finalement accordé à leurs salariés pendant les mouvements sociaux de décembre 2019”. De même, “38 % des salariés dont le métier permet le télétravail mais qui ne le pratiquaient pas auparavant l’ont ainsi adopté pendant cette même période”. Preuve que les circonstances exceptionnelles dopent le télétravail, en Ile-de-France, région la plus impactée par la dernière grève des transports, la proportion de salariés recourant au télétravail a atteint 50 % contre 41 % habituellement.

Les grèves des transports ne sont pas les seuls motifs invoqués. En février 2020, soit avant même que le gouvernement ne durcisse les mesures d’éloignement social liées à l’épidémie de Coronavirus, 27 % des entreprises déclarent “avoir incité leurs salariés à pratiquer le télétravail en période d’épidémies de grippe, de gastro-entérite ou aujourd’hui de coronavirus”. Un mouvement confirmé par les salariés : 36 % affirment que “leurs entreprises les ont effectivement incités à télétravailler afin d’éviter toute contamination ou arrêts de travail”.

Progression régulière du télétravail

Pour les auteurs de l’enquête, l’engouement pour le télétravail n’est toutefois pas porté uniquement par les crises qui en font un outil incontournable des plans de continuité d’activité (PCA). Au-delà de ces circonstances exceptionnelles, les principaux facteurs de développement du télétravail restent la généralisation des outils numériques et l’assouplissement de son cadre réglementaire.

La proportion d’entreprises proposant à leurs salariés de télétravailler a fortement augmenté à la faveur de l’assouplissement réglementaire de septembre 2017 : elle était de 26 % en 2017, 31 % en 2018, et 32 % en 2019. Preuve de l’importance de la souplesse de mise en œuvre pour les employeurs, 22 % des salariés du privé pratiquent le télétravail de façon informelle et non contractualisée contre 8 % seulement de façon officielle et contractualisée.

Un télétravail majoritairement occasionnel

Il est vrai que les façons de recourir au télétravail restent très diversifiées. Aujourd’hui, les salariés télétravailleurs le pratiquent en moyenne 6,4 jours par mois mais cette moyenne recouvre une grande variété de durée. Pour la plupart des salariés, le télétravail reste majoritairement occasionnel : “47 % des télétravailleurs le pratiquent moins d’un jour par semaine, 17 % un jour par semaine, 22 % plus d’un jour par semaine et 14 % télétravaillent en permanence”.

En revanche, le sondage révèle une homogénéité croissante des lieux de travail où exercent les télétravailleurs. En 2018, 35 % bénéficiaient de bureaux satellites mis à disposition par leur entreprise et 21 % recouraient à des “tiers lieux” tels les espaces de coworking ou les cafés. Ils ne sont plus que 25 % et 20 % dans ce cas. Si bien que, pour 90 % des télétravailleurs, le domicile est le lieu de travail privilégié.

Consensus entre salariés et dirigeants

L’enquête de Malakoff Humanis révèle que, globalement, salariés et dirigeants s’accordent sur les bénéfices potentiels du télétravail. En effet, pour les salariés, “le télétravail facilite la conciliation vie professionnelle/vie personnelle (89 %), permet davantage d’autonomie dans le travail (88 %), accroît l’efficacité et la productivité (88 %), contribue à la diminution de la fatigue (86 %), et renforce l’engagement (79 %).”

De façon presque parallèle, les dirigeants estiment qu’il permet “une amélioration de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle (93 %), une meilleure qualité de vie au travail (88 %) et une plus grande autonomie (86 %)” tout en contribuant à la responsabilisation (85 %) et à l’engagement (75 %) de leurs salariés.

Des risques de mieux en mieux identifiés

Cet accord sur les bienfaits du télétravail n’empêche pas les acteurs de l’entreprise à une grande maturité quant aux risques qu’il recèle. Parmi ceux-ci, les salariés pointent prioritairement “la difficulté pour séparer les temps relevant de la vie privée et ceux de la vie professionnelle” (58 %), “des échanges plus difficiles entre collaborateurs” (57 %), “des difficultés techniques plus importantes liées à la maîtrise des outils informatiques à distance, à la qualité du réseau, etc.” (51 %), “un risque d’addiction au travail” (51 %).

Pour 46 % des salariés interrogés, le télétravail comporte aussi “des risques pour la santé psychologique” : isolement, perte du lien collectif, non-déconnexion, etc. Leur expérience valide ce ressenti puisque, par exemple, “4 salariés télétravailleurs sur 10 ne sont pas ou peu en contact avec leur équipe lors de leurs jours de télétravail”. Les managers n’ignorent pas ces difficultés : alors qu’en 2018, 56 % estimaient que le télétravail permettait “une meilleure satisfaction des salariés”, ils ne sont plus que 43 % à le penser. De même, ils étaient 38 % à considérer que le télétravail améliorait “la perception de la qualité de vie au travail par leur salarié” contre 34 % aujourd’hui.

Forte demande de formation des managers

Cette lucidité ne conduit pas les membres de l’entreprise à rejeter le télétravail mais à demander une meilleure maîtrise de son déploiement. De ce point de vue, il reste de fortes marges de progrès. En effet, seuls 30 % des salariés télétravailleurs disent avoir été accompagnés dans la mise en place de cette pratique via une formation, une sensibilisation aux risques, etc. Et il en va de même pour les managers : seuls 36 % d’entre eux ont été formés à l’accompagnement de leurs collaborateurs dans la pratique du télétravail.
Preuve qu’il s’agit à leurs yeux d’une lacune, “45 % des managers n’ayant pas été accompagnés auraient souhaité l’être”. Ce vœu devrait être entendu car “63 % dirigeants reconnaissent que la mise en place du télétravail implique, pour les managers, un véritable changement de mode de management, et qu’elle rend leur rôle plus difficile (49 %)”.

Des facteurs de réussite à la fois techniques et humains

Ces résultats sont donc particulièrement encourageants démontrent que, contrairement à ce qui prévalait auparavant, tous les acteurs de l’entreprise perçoivent que les facteurs de réussite du télétravail ne sont pas seulement matériels, organisationnels et techniques mais aussi managériaux et psychologiques. Même accompli à distance, le travail reste une activité humaine et sociale mobilisant des connaissances et des compétences mais aussi des émotions et des sentiments !