Le 24 avril dernier la Cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt dans l’affaire opposant Amazon France Logistique à l’Union syndicale Solidaire à propos des mesures prises par l’entreprise américaine pour préserver la santé de ses salariés dans le contexte de l’épidémie de Coronavirus. Cette décision insiste particulièrement sur l’obligation de prendre en compte les risques psychosociaux induits par l’épidémie mais aussi par les modifications de l’organisation du travail.
L’affaire commence le 8 avril, lorsque l’Union syndicale Solidaire décide d’assigner en référé, devant le tribunal judiciaire de Nanterre, la société Amazon France Logistique. Les syndicats estiment en effet que les mesures prises par l’entreprise pour protéger ses salariés d’une contamination par le Covid-19 étaient insuffisantes et non conformes aux obligations légales.
Or, si les juges ont admis que l’entreprise avait bien pris des mesures spécifiques, il les a toutefois jugées insatisfaisantes et incomplètes. Le 14 avril, l’ordonnance de référé rendue par le tribunal a donc ordonné à Amazon de “procéder à l’évaluation des risques professionnels inhérents а l’épidémie de Covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts” en y associant les instances représentatives du personnel et, dans l’attente, de “restreindre son activité à la réception de marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard et par infraction constatée”. L’objectif de cette restriction était de limiter le nombre de salariés présents simultanément dans les entrepôts.
Obligation de mettre à jour le document unique
Le 15 avril, Amazon France Logistique a interjeté appel de cette ordonnance devant la Cour d’Appel de Versailles qui a tenu audience le 24 avril. A l’issue de celle-ci, la Cour a cependant confirmé pour l’essentiel l’ordonnance du tribunal de Nanterre. Seule modification notable : elle a ajouté les produits de “high-tech, d’informatique et de bureau” à la liste des produits qui peuvent être expédiés par Amazon dans l’attente de la mise en place de nouvelles de mesures permettant de mieux protéger la santé de ses salariés.
Mais cet arrêt a aussi été, pour les juges, l’occasion de préciser les obligations qui incombent aux entreprises en matière de prévention des risques professionnels dans le contexte de l’épidémie. Sans surprise ils ont ainsi rappelé avec force la nécessité, pour les entreprises, de mettre à jour leur document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER) de façon à prendre en compte les risques que fait peser la pandémie de Covid-19 sur la santé physique mais aussi mentale des travailleurs.
Obligation d’évaluer et prévenir les risques psychosociaux
En effet, l’arrêt insiste fortement sur l’obligation de prendre en compte, dans cette mise à jour du DUER, les risques psychosociaux (RPS) induits par l’épidémie. Les juges évoquent ainsi “le climat particulièrement anxiogène de la situation inédite créée par la pandémie dans un contexte de travail rendu plus difficile d’une part en raison de l’injonction de ‘rester chez soi’ faite par les pouvoirs publics à une partie de la population et d’autre part du fait de la modification substantielle des conditions de travail, liée tant aux mesures destinées à protéger les salariés qu’à l’augmentation des commandes passées auprès de la société Amazon”.
Plus explicitement, les juges reprochent à Amazon de n’avoir “pas évalué les risques psycho-sociaux, particulièrement élevés en raison du risque épidémique et des réorganisations induites par les mesures mises en place pour prévenir ce risque”. Ils soulignent notamment qu’“aucune démarche n’avait été initiée par l’employeur pour modifier les DUER au regard des risques psychosociaux”. Enfin, conscients que les risques psychosociaux sont des risques spécifiques dont l’évaluation nécessite une expertise particulière pas nécessairement présente en interne, ils précisent que, “dans ce contexte, la société Amazon aurait pu solliciter des conseils extérieurs pour l’accompagner dans sa démarche”. En effet, pour les juges “l’évaluation des risques gagnera en qualité si l’employeur entame une approche pluridisciplinaire en convoquant des compétences médicales, techniques et organisationnelles”.
Un arrêt de référence pour toutes les entreprises
Pour Maître Jonathan Cadot, avocat représentant la CFDT, cet arrêt très détaillé de 25 pages est appelé à devenir une référence pour l’ensemble des entreprises quant à leur obligation de sécurité “dans le contexte de la reprise d’activité progressive en matière de déconfinement”. Une chose est sûre : cet arrêt confirme que, suite à l’épidémie de Covid-19, la prévention des risques professionnels et notamment des risques psychosociaux, va faire l’objet d’une attention soutenue de la part des services de l’État, des parties prenantes de l’entreprise et, comme on le voit, des juges.