Santé mentale au travail : vers une politique d’évaluation et de prévention

Pour la première fois, une étude épidémiologique représentative de la population active française a été menée pour évaluer les facteurs de risques psychosociaux liés au travail et la détresse orientant vers un trouble mental. C’est la Fondation Pierre Deniker pour la recherche et la prévention en santé mentale qui l’a conduite et remise au Conseil économique, social et environnemental. Les résultats sont préoccupants, mais les auteurs de l’étude plaident pour la mise en place d’une politique de prévention efficace.

Différentes études et enquêtes ont été menées jusqu’à présent, par les ministères de la Santé ou du Travail, ainsi que par la Dress et la Dares, sur la santé mentale des actifs d’une part, sur l’environnement et les conditions de travail d’autre part. Mais jamais, nous rappelle la Fondation Pierre Deniker, ces études n’avaient été croisées. C’est la tâche à laquelle se sont attelés les membres qui sont à l’origine de la présente étude. Les spécificités de cette étude sont l’intérêt porté au repérage d’une détresse psychique orientant vers un trouble mental (ce qui va plus loin que le repérage de la souffrance au travail ou du burn-out) ; l’échantillon large et représentatif auprès duquel l’étude a été menée ; enfin, “l’analyse des liens entre facteurs de risques psychosociaux et détresse psychique orientant vers un trouble mental (permettant d’orienter des actions correctrices adaptées)”.

Des chiffres préoccupants

Les résultats de l’étude sont sans appel : plus d’un Français actif sur cinq (22 %) est en état de détresse “orientant vers un trouble mental”. Si l’on regarde de manière plus détaillée, les femmes sont plus concernées que les hommes, un quart d’entre elles (26 %) (contre 19 % chez les hommes) étant affectées par une détresse pouvant les mener vers un trouble mental, soit une pathologie médicale susceptible d’être soignée (dépression, troubles anxieux, trouble obsessionnel compulsif, troubles bipolaires, schizophrénie, addiction). Parmi la population active, les aidants (28 %) sont les plus touchés par cet état de détresse qui, par ailleurs, concerne 28 % des personnes passant plus d’une heure et demie dans les transports chaque jour.

Un coût social et économique

“Les troubles mentaux sont des pathologies très fréquentes et invalidantes affectant près de 18 % de la population”, explique le professeur Raphaël Gaillard, président de la Fondation Pierre Deniker, professeur en psychiatrie, chef du Pôle Hospitalo-Universitaire du XVe arrondissement au sein du Centre Hospitalier Sainte Anne à Paris. Et de nous rappeler que ces troubles mentaux ont un coût social et financier, pour chaque personne concernée et pour toute la société. “La dépression, par exemple, est une des 5 maladies contribuant le plus au fardeau des pathologies en termes d’années vécues avec un handicap. Dans le cadre du travail, les troubles mentaux sont responsables de productivité limitée, d’arrêts de travail souvent longs et multiples, ainsi que de situations d’invalidité et de départs à la retraite anticipés.”

 

Pour une exploration des liens
entre travail et troubles mentaux

“Le facteur de risque psychosocial le plus fortement associé à une détresse orientant vers un trouble mental chez tous les actifs est le déséquilibre entre vie privée et vie professionnelle.” L’étude relève que “15 % des actifs déclarent ne pas pouvoir mener de front vie professionnelle et vie personnelle. Parmi eux 45 % présentent une détresse orientant vers un trouble mental contre 18 % chez ceux qui n’ont pas cette difficulté.” De nombreuses entreprises et de nombreuses administrations ont d’ores et déjà pris la mesure du problème et mis en place des actions de prévention en vue d’éviter que la santé mentale de leurs salariés ne soit affectée.
Toutefois, pour le professeur Gaillard, “il faut investir la question des facteurs de risques psychosociaux liés au travail avec le risque de présenter un trouble mental. Nous ne pouvons pas nous en tenir aux problématiques de ‘bien-être au travail’ ou de burn-out mais nous devons nous atteler à l’exploration des liens entre travail et troubles mentaux […] La France souffre d’un réel déficit de connaissance à l’échelle de sa population active globale.”
Il est urgent, explique le professeur, de faire connaître les résultats de cette étude et de former “des cohortes de plusieurs dizaines de milliers de personnes, permettant l’observation et l’analyse prospective”, ainsi que l’ont fait les pays anglo-saxons et scandinaves. Un appel aux pouvoirs publics, aux branches professionnelles et aux entreprises est lancé.